jeudi 1 septembre 2011

Peintures corporelles vallée de l'Omo

Hans Sylvester
C'est un moment de grâce quand l'art vous renvoie à une partie inconnue de vous même d'où une source pourrait jaillir. C'est l'image parfaite de "l'enchantement du monde" que nous avons si bien su fait disparaître en cultivant démesurément notre savoir conceptuel et technique. Mais il est toujours là, même sans creuser : il ne demande que l'occasion de s'épanouir, de donner vie.

Extrait du site Grands Reporters
"La force de leur art tient en trois mots : les doigts, la vitesse et la liberté. Ils dessinent mains ouvertes, du bout des ongles, parfois avec un bout de bois, un roseau, une tige écrasée. Des gestes vifs, rapides, spontanés, au-delà de l’enfance, ce mouvement essentiel que recherchent les grands maîtres contemporains quand ils ont beaucoup appris et tentent de tout oublier. Pas d’écoles, de tendances, de rites, pas de signification religieuse comme en Amazonie, pas de code ancestral proche des Aborigènes d’Australie, pas de projet, de carcan, de prison. Seulement le désir de se décorer, de séduire, d’être beau, un jeu et un plaisir permanent. Il leur suffit de plonger les doigts dans la glaise et, en deux minutes, sur la poitrine, les seins, le pubis, les jambes, ne naît rien moins qu’un Miro, un Picasso, un Pollock, un Tàpies, un Klee...On reste pantois. Surtout quand, dans un grand rire, le guerrier ou l’adolescente immole aussitôt son chef d’œuvre en plongeant dans l’eau du fleuve. C’est un art libre, éphémère et gratuit. De l’âge de huit ans jusqu’à la quarantaine, les membres d’une dizaine de tribus, - Hammer ou Karo – se peignent le corps et les cheveux, d’un rien, d’une poignée de terre, d’un mélange de beurre liquide et d’ocre, de la poussière de bouse de leurs vaches à longues cornes ou des cendres anthracite de leur feu de camp. Une feuille d’arbuste, des plumes de roseau blanc, une grappe de baies jaunes, un bout de calebasse brisée, tout devient art et parure. Les hommes marchent nus, les femmes jamais, le sexe couvert d’une ceinture de perles de plomb, ni puritains, ni libertins. Ils saignent leurs vaches, en boivent le lait et le sang cru et marchent en poussant leurs bêtes, parfois jusqu’à soixante kilomètres par jour. En sautant les frontières, lance ou Kalachnikov sur l’épaule, une peau de chèvre comme litière, sur un réseau de sentiers à travers une Terra Incognita vaste comme deux fois la Belgique. C’est là, au bord d’une piste, qu’Hans Silvester les a croisés : « Un choc profond… » dit le photographe, « D’où sortaient-ils ? Aussi beaux, avec cette capacité à inventer l’art contemporain ? » 


A consulter :



http://agoras.typepad.fr/photos/peintures_corporellesvall/index.html

Hans Sylvester
http://aujourd-hui-plus-qu-hier-et-bien-moins-que-demain.over-blog.com/article-26633342.html

http://www.grands-reporters.com/Les-peuples-de-l-Omo.html

Spinoza ?


"Spinoza énonce froidement l'impossibilité des conversions purement intellectuelles, tout comme celle des idées à avoir jamais quelque effet par elles-mêmes seulement. Il faut toute la cécité socio-centrique des demi-intellectuels qui, se vivant comme pourvoyeurs d' "idées", sont par là-même portés à croire que "les idées mènent le monde", pour ne pas voir que les idées pures ("en tant qu'elles sont une connaissance vraie") n'ont jamais rien mené, sauf à être accompagnées, et soutenues, d'affects qui seuls peuvent les doter de force, mais d'une force extrinsèque... C'est l'art qui dispose constitutivement de tous les moyens d'affecter, parce qu'il s'adresse d'abord aux corps, auxquels il propose immédiatement des affections : des images et des sons. " 

Frédéric Lordon ("Surréalisation de la crise", post-scriptum à "D'un retournement l'autre", 2011, Le Seuil).

Pièce de théâtre "jouant" la crise avec un beau dynamisme intellectuel et une joyeuse mise à distance par l'utilisation de l'alexandrin, "Surréalisation de la crise" n'en demeure pas moins, hélas, un produit intellectuel à destination des "belles personnes" qui partagent déjà les mêmes analyses, le vocabulaire, les concepts de référence. Mais la tentative est louable et mérite qu'on s'y arrête d'autant plus que l'auteur, très relayé sur Internet (260 vidéos en ligne), est brillant. La meilleure partie de la pièce concerne la crise de 2008. Hélas, tout a déjà été dit : l'épisode relaté à date d'aujourd'hui ressemble à une série de télé dont on a déjà vu les épisodes suivants... Mais pas la fin quand même ! Pour la suite (on y est) : le retournement de situation, les banques qui font des conséquences de leur sauvetage par les Etats la cause d'une nouvelle crise (trop de déficit !) est en effet savoureux. Mais déjà une faille se glisse : dans une volonté de simplification l'auteur écarte d'autres éléments de la crise qui agissent en parallèle (ou perpendiculaire !). Et surtout il propose une solution qui laisse coi : nationaliser (sous des formes subtiles "communalisation" peut-être, "socialisation" pourquoi pas) ! Certes les agents de l'Etat n'ont pas les mêmes "hubris" que ceux de la finance (encore que...) mais ils en ont d'autres, tout aussi ravageurs... A moins qu'il ne s'agisse de "l'idée pure" de la nationalisation, dépourvue d'affect ?

lundi 15 août 2011

Mirage grec


"Bon Dieu oui, ça me plaît !" me répétais-je sans fin, pendant que, appuyé au bastingage, je laissais le mouvement et la pagaille entrer en moi. Je m'adossai pour regarder le ciel. Jamais je n'avais vu son pareil. Une magnificence. Je me sentais complètement détaché de l'Europe. Je venais d'entrer dans un nouveau royaume, en homme libre - tout s'était conjuré pour donner à cette expérience un caractère unique et fécond. Dieu, que j'étais heureux. Mais heureux avec, pour la première fois de ma vie, la pleine conscience de mon bonheur. Etre heureux, simplement, ce n'est pas mal ; savoir qu'on l'est, c'est un petit mieux ; mais comprendre son bonheur, en savoir le pourquoi et le comment, et le sens, connaître l'enchaînement des événements et des circonstances qui en sont la cause, et continuer à être heureux, heureux de l'être et de le savoir, ma foi, cela dépasse le bonheur, c'est de la félicité et, si l'on avait tant soit peu de sens commun, on devrait se tuer sur-le-champ et en finir un bon coup."
"... il y avait la mer, mais la côte était là aussi, les chèvres escaladaient les pentes, les bosquets de citronniers étaient en vue, et l'espèce de démence que dégage leur parfum s'était déjà emparée de nous et nous liait étroitement les unes aux autres dans une frénésie d'abandon."
"... Cette lente navigation dans les rues de Poros, c'est la joie retrouvée du cheminement dans le col de la matrice. Joie presque trop profonde pour qu'on en garde le souvenir ; sorte d'hébétude voluptueuse d'idiot du village, génératrice de légendes telles que celle de la naissance d'une île, fille d'une nef naufragée. Le bateau, la passe, les murs qui tournent sur eux-mêmes, la douce ondulation frémissante sous le ventre du bateau, l'éblouissement de la lumière, la courbe verte et reptilienne du rivage, les barbes des habitants pendant aux fenêtres presque à vous toucher le crâne, sans compter le souffle d'amitié, de sympathie, de serviable sagesse qui palpite dans l'air, tout cela vous enveloppe, vous ravit tant que vous finissez par exploser comme une étoile à l'apogée de sa plénitude accomplie, tandis que votre coeur projette dans l'espace ses éclats en fusion."
"Un moment comme celui-là ne meurt pas, survit aux guerres mondiales, dépasse en durée la vie de la planète Terre.
Henry Miller, "Le colosse de Maroussi"

mercredi 10 août 2011

Vent littéraire

"C'était le vent lavé par les distances, le vent des hautes régions qui ne tombe pas en volutes sur les vallées, qui file droit et, par-dessus les montagnes, va brasser, au-dessus des mers, des mers de nuées parallèles et profondes. Un vent sans odeur, sans parfum, purifié de tous les atomes qui rappellent son passage sur la pente où fleurit le genêt, sur la combe aqueuse où sifflent les ruches, sur la roche limée qui se délite et lance un parfum minéral. Un vent que sa vitesse prive de toute autre qualité, un vent comme un choc".
André Chamson,  L'Aigoul (Ed. Emile Paul, 1930).

samedi 25 juin 2011

Notre-Dame des Hirondelles


"D'innombrables petits cris stridents sortaient de dessous son manteau. Elle en écarta les pans, et le moine Thérapion vit qu'elle portait dans les plis de sa robe des centaines de jeunes hirondelles. Elle ouvrit largement les bras, comme une femme en prière, et donna ainsi la volée aux oiseaux. Puis elle dit, et sa voix était claire comme le son d'une harpe : "Allez, mes enfants". Les hirondelles délivrées filèrent dans le ciel du soir, dessinant du bec et de l'aile d'indéchiffrables signes. Le vieillard et la jeune femme les suivirent un instant du regard, puis la voyageuse dit au solitaire : "Elles reviendront chaque année, et tu leur donneras asile dans mon église. Adieu, Thérapion." Et Marie s'en alla par le sentier qui ne menait nulle part, en femme à qui il importe peu que les chemins finissent, puisqu'elle sait le moyen de marcher dans le ciel. Le moine Thérapion descendit a village, et, le lendemain, quand il remonta célébrer la Messe, la grotte des Nymphes était tapissée de nids d'hirondelles. Elles revinrent chaque année ; elles allaient et venaient dans l'église, occupées à nourrir leurs petits ou à consolider leurs maisons d'argile, et souvent le moine Thérapion s'interrompait dans ses prières pour suivre avec attendrissement leurs amours et leurs jeux, car ce qui est interdit aux Nymphes est permis aux hirondelles."
Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales.
Ou comment la littérature remplit cette fonction essentielle à l'Homme de "ré-enchanter" le monde...
Sa nouvelle a fait l'objet d'une adaptation théâtrale par Le Petit Théâtre de Lausanne.

mardi 21 juin 2011

La promesse de l'aube


http://rosannadelpiano.perso.sfr.fr/Gary.htm
"La vie est jeune. En vieillissant, elle se fait durée, elle se fait temps, elle se fait adieu. Elle vous a tout pris, et elle n'a plus rien à vous donner. Je vais souvent dans les endroits fréquentés par la jeunesse pour essayer de retrouver ce que j'ai perdu. Parfois je reconnais le visage d'un camarade tué à vingt ans. Souvent, ce sont les mêmes gestes, le même rire, les mêmes yeux. Quelque chose, toujours, demeure. Il m'arrive alors de croire presque - presque - qu'il est resté en moi quelque chose de celui que j'étais il y a vingt ans, que je n'ai pas entièrement disparu. Je me redresse alors un peu, je saisis mon fleuret, je vais à pas énergiques dans le jardin, je regarde le ciel et je croise le fer. Parfois, aussi, je monte sur ma colline et je jongle avec trois, quatre balles, pour leur montrer que je n'ai pas encore perdu la main et qu'ils doivent encore compter avec moi... Je m'étends au soleil sur le sable de Big Sur et je sens dans tout mon corps la jeunesse et le courage de tous ceux qui viendront après moi et les attends avec confiance, en regardant les phoques et les baleines qui passent par centaines, en cette saison, avec leurs jets d'eau, et j'écoute l'Océan ; je ferme les yeux, je souris et je sais que nous sommes tous là, prêts à recommencer."

"La promesse de l'aube" : magnifique roman "initiatique" d'une grande profondeur humaine sur ce qui fonde un homme à travers son enfance et son cheminement "entre hasard et nécessité"...

mardi 19 avril 2011

Agriculture et paysages


Du 9 au 15 mai 2011, les CAUE organisent la semaine nationale "Agricultures & Paysages". Au programme dans toute la France : des expositions, des débats, des projections de films, des visites de sites et concours-photos afin de promouvoir le paysage et d'illustrer toute la force innovante des territoires.

A Nîmes, quatre films pour mémoire


"Paul dans sa vie" de Rémi Mauger
"Sans terre et sans reproche" de Stéphanie Muzard
"Portrait d'ares" par la Fédération des CAUE
"Le temps des grâces" de Dominique Marchais

mercredi 23 mars 2011

Un jardin

Bambous, camélias, magnolia et beaucoup d'autres... Un printemps de Pratfrance !

samedi 19 février 2011

Lasalle, un village en Cévennes


Ce qu'on ne voit pas sur ces photos c'est que, derrière ses murailles de pierre, ses arbres, ses jardins et sa rivière, Lasalle est un village musical (et cinéphile, théâtrophile, littéraire etc) ! Quel rapport direz-vous entre la musique et un village "matériel" ? Car bien sûr ce sont ses habitants qui aiment la musique, mais le village lui-même émet une "Petite musique...". L'ancienneté de ses bâtiments le ramène, au moins, à l'époque mozartienne : régularité des formes, rythme des ouvertures aux dimensions "assemblées" avec élégance, harmonies des proportions, mesure du rapport entre vides et plein... Comme la musique de Mozart il émet un écho apaisant ("hors du temps") par l'ancrage solide de son assise dans le paysage, l'épaisseur des murs, la relative étroitesse des ouvertures, l'effet "tampon" des bâtisses entre le froid et le chaud souvent excessifs du dehors, la subtilité des passages entre l'intérieur et l'extérieur, la possibilité qu'il offre de vivre à loisir dedans et dehors...
C'est un puzzle construit par des générations successives : chacune prenant soin du travail des précédentes et y ajoutant son écot. Comme si chacun savait, de toute éternité, pourquoi il est là.
Mais, en même temps, ce "modèle" reproduit de siècle en siècle, a évolué, s'est enrichi de l'apport des nouvelles idées, des nouveaux moyens techniques, s'attachant à donner de nouvelles solutions aux besoins des habitants. Comme dans le jazz (mais autrefois il en était de même pour toute la musique, même celle de Mozart...) chaque génération a brodé sur un thème, "improvisation" très calculée aboutissant à des variations qui empêchent toute idée de monotonie. Des "contraintes (matériaux, fonctionnalités, adaptation au terrain, état des techniques, moyens financiers...) surgissent la création renouvelée. Des formes toujours reconnaissables mais un peu différentes d'un lieu à l'autre, d'un temps à l'autre.
Reste aux générations contemporaines à inventer leurs propres variations sans faire table rase de l'héritage musical. Une fausse note n'arrête pas le joueur de jazz mais il faut savoir en faire un nouveau départ qui ne renie pas la mélodie interrompue.

mercredi 16 février 2011

Aimez-vous les histoires (2)

« La belle »
Enfin un sentiment de vacances : c'est l'air, plus doux, plus vibrant. S'asseoir à l'ombre des châtaigniers, loin de l'agitation touristique, boire un jus de raisin, comme ça, sans projet. Juste pour laisser couler le temps entre ses doigts. Ce matin, en descendant du refuge, Alain marchait en dansant, détaché de tout. Il y a des jardins en contrebas, des rangées de framboisiers et une grand-mère très affairée. Ces sentiers des Cévennes sont extraordinaires car ils ne vous font pas seulement promener dans la nature, vous entrez parfois dans l'intimité des gens. Ou presque. Et même dans leur histoire à travers tous ces murs a demi écroulés, les "mazets" abandonnés, les vergers envahis de végétation. On dirait toujours que des générations se sont succédées devant vous, avant que ce soit votre tour, à vous, de passer là. Il faut vraiment atteindre les premières bourgades pour revenir au présent, à la réalité, la réalité ordinaire, si peu propice au rêve.

Hier André avait décidé de s'échapper. Ca faisait longtemps qu'il y pensait. En fait c'était facile, il suffisait de le vouloir vraiment. Les autres n'étaient pas très malins. Mais, dans une prison, la plupart des prisonniers sont complices des gardiens : ils préfèrent le statu-quo, le confort si on peut dire, plutôt que le désordre, le scandale, le risque. Mais lui était décidé. Il s'est caché dans un container à linge, comme il l'avait vu faire à la télé, et quand il a pu sauter, hop ! La camionnette était déjà sortie de la ville et il reconnut vite les lieux. La nuit tombée il était déjà près de chez lui. Mais il ne voulait pas s'y arrêter, il prit le chemin qui montait derrière, entre les rochers. Sans lumière son pas était lent. Il tâtonnait malgré les étoiles. Peu à peu il a senti son coeur se mettre au rythme de la marche et son souffle s'apaiser. Il ne faut pas craindre l'obscurité quand on marche la nuit, il faut faire confiance aux perceptions qui remplacent la lumière : le sol, l'herbe, l'ombre des arbres, la clarté des rochers, le chaud et le froid... Donc il montait et n'avait laissé derrière lui ni empreintes ni messages.

En reprenant sa route, Alain se sentait comme un elfe grisé par la fraîcheur des mousses et l'odeur mentholée. Le chemin fait sa trace et il faut le laisser vous guider dans l'espace, entre les arbres : car il n'est pas seulement une marque au sol mais une colonne d'air libre qui avance vers vous et vous aspire, de plus en plus souple, léger, aérien. Ne penser à rien, se laisser porter. Quel plaisir !

André sortit des arbres, longea les longues tiges de genêts jusqu'à la crête de rochers. Là il s'arrêta un moment pour caler son dos dans un creux encore chaud et étendre ses jambes. Il ne fumait plus depuis longtemps mais il aurait aimé sortir une pipe de sa poche, à ce moment même. Il la sentait presque au creux de sa main. Il l'aurait portée à ses lèvres. En soupirant, il ferma les yeux. Il retrouvait tous les parcours de sa jeunesse sur ces chemins parcourus mille fois. Il sentait presque l'air de juin qui enflamme les coeurs quand l'énergie du printemps les emporte. Cette fois, rien ne l'arrêterait. Il sentait la lame de son couteau de berger dans son vieux pantalon bleu. Des bagarres, des coups durs, il savait ce que c'était. Il était prêt à tout. Personne ne se mettrait plus en travers de sa route. Maintenant la course était finie. Comme toujours le chemin était meilleur que le but à atteindre.

Vers onze heures Alain atteignit un promontoire rocheux qui lui permit de découvrir d'un coup la vallée dans toute sa longueur. Un long versant ombragé s'ouvrit devant lui, très encombré de hautes tiges de genêts. Quel maquis ! Il pouvait y avoir n'importe quoi devant lui, il ne le verrait quand tombant dessus ! Des sangliers, des chevreuils, des cerfs peut-être. Se trouver tête à tête avec un sanglier, hum ? La campagne était étrangement silencieuse : les chants d'oiseaux, les stridulations d'insectes s'étaient tus. Il s'engagea dans un défilé plus étroit le long d'un mince ruisseau presque à sec. Cette fois-ci c'est son coeur qu'il entendait battre. Il fallait respirer longuement, profondément. L'ombre était fraîche et comme... habitée. Il regarda autour de lui un peu nerveusement. Des bruits semblait-il ?

Quand le vallon s'élargit, il aperçu quelques personnes qui avançait d'un pas décidé en contrebas. Un groupe de marcheurs avec... Des pompiers ou des gendarmes ? Des uniformes en tout cas. Un peu plus bas ils se croisèrent :

- "Vous n'avez vu personne en descendant " ? C'était bien des pompiers. "Non, personne, pourquoi ?"

- "Nous sommes à la recherche d'un vieux monsieur qui s'est enfui de la maison de retraite du village. On pensait qu'il était rentré chez lui. Mais non. Alors on cherche tout autour".

- "Ah bon mais, pourquoi serait-il monté jusqu'ici ?".

- "Ca arrive, les vieux qui s'enfuient retournent sur leur pas. Sur les chemins de leur jeunesse."

samedi 12 février 2011

Hivernage


Il y a, dans le coeur d'une journée d'hiver ensoleillée, un chemin qui conduit à l'épaisseur du temps. On s'y glisse, on y trouve sa place et on se réchauffe aux heures immobiles. Enfin un espace où le temps ne fuit pas. Piégé par la douceur de l'air, saisi de l'immobilité des arbres et du silence, il ouvre ses heures comme un souffle imperceptible et chaque seconde suspendue s'égraine sans fin. Le temps flotte à la surface immobile des plages de lumière dans le pré. Le temps gèle dans l'ombre brune des arbres hébétés. Même pas un chant d'oiseau. Rien n'avance ni ne change, aucune attente, ni espoir, ni angoisse. Juste être là.

samedi 8 janvier 2011

Ferdinand

Pour vous mettre en forme dès le début de l'année 2011 : un petit coup de Ferdinand (Céline) ça vous remonte le moral !


Luchini lit Céline 1/3
envoyé par alcyon12. - L'actualité du moment en vidéo.

Pour vous remettre : La Fontaine


LA MORT ET LE MOURANT
La mort ne surprend point le sage ; 
           Il est toujours prêt à partir, 
           S'étant su lui-même avertir 
Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. 
       Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps : 
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments, 
           Il n'en est point qu'il ne comprenne 
Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine ; 
Et le premier instant où les enfants des rois 
           Ouvrent les yeux à la lumière, 
           Est celui qui vient quelquefois 
           Fermer pour toujours leur paupière. 
           Défendez-vous par la grandeur, 
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse, 
           La mort ravit tout sans pudeur 
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse. 
           Il n'est rien de moins ignoré, 
           Et puisqu'il faut que je le die, 
           Rien où l'on soit moins préparé. 
Un Mourant qui comptait plus de cent ans de vie, 
Se plaignait à la Mort que précipitamment 
Elle le contraignait de partir tout à l'heure, 
           Sans qu'il eût fait son testament, 
Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure 
Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu. 
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ; 
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ; 
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile. 
Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle ! 
Vieillard, lui dit la mort, je ne t'ai point surpris ; 
Tu te plains sans raison de mon impatience. 
Eh n'as-tu pas cent ans ? trouve-moi dans Paris 
Deux mortels aussi vieux, trouve-m'en dix en France. 
Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis 
           Qui te disposât à la chose : 
       J'aurais trouvé ton testament tout fait, 
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait ; 
Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause 
          Du marcher et du mouvement, 
          Quand les esprits, le sentiment, 
Quand tout faillit en toi ? Plus de goût, plus d'ouïe : 
Toute chose pour toi semble être évanouie : 
Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus : 
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus 
           Je t'ai fait voir tes camarades, 
           Ou morts, ou mourants, ou malades. 
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement ? 
           Allons, vieillard, et sans réplique. 
           Il n'importe à la république 
           Que tu fasses ton testament. La Mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge 
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet, 
Remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet ; 
Car de combien peut-on retarder le voyage ? 
Tu murmures, vieillard ; vois ces jeunes mourir, 
           Vois-les marcher, vois-les courir 
A des morts, il est vrai, glorieuses et belles, 
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles. 
J'ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret : 
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.


Et surtout bonne année !