samedi 25 juin 2011

Notre-Dame des Hirondelles


"D'innombrables petits cris stridents sortaient de dessous son manteau. Elle en écarta les pans, et le moine Thérapion vit qu'elle portait dans les plis de sa robe des centaines de jeunes hirondelles. Elle ouvrit largement les bras, comme une femme en prière, et donna ainsi la volée aux oiseaux. Puis elle dit, et sa voix était claire comme le son d'une harpe : "Allez, mes enfants". Les hirondelles délivrées filèrent dans le ciel du soir, dessinant du bec et de l'aile d'indéchiffrables signes. Le vieillard et la jeune femme les suivirent un instant du regard, puis la voyageuse dit au solitaire : "Elles reviendront chaque année, et tu leur donneras asile dans mon église. Adieu, Thérapion." Et Marie s'en alla par le sentier qui ne menait nulle part, en femme à qui il importe peu que les chemins finissent, puisqu'elle sait le moyen de marcher dans le ciel. Le moine Thérapion descendit a village, et, le lendemain, quand il remonta célébrer la Messe, la grotte des Nymphes était tapissée de nids d'hirondelles. Elles revinrent chaque année ; elles allaient et venaient dans l'église, occupées à nourrir leurs petits ou à consolider leurs maisons d'argile, et souvent le moine Thérapion s'interrompait dans ses prières pour suivre avec attendrissement leurs amours et leurs jeux, car ce qui est interdit aux Nymphes est permis aux hirondelles."
Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales.
Ou comment la littérature remplit cette fonction essentielle à l'Homme de "ré-enchanter" le monde...
Sa nouvelle a fait l'objet d'une adaptation théâtrale par Le Petit Théâtre de Lausanne.

mardi 21 juin 2011

La promesse de l'aube


http://rosannadelpiano.perso.sfr.fr/Gary.htm
"La vie est jeune. En vieillissant, elle se fait durée, elle se fait temps, elle se fait adieu. Elle vous a tout pris, et elle n'a plus rien à vous donner. Je vais souvent dans les endroits fréquentés par la jeunesse pour essayer de retrouver ce que j'ai perdu. Parfois je reconnais le visage d'un camarade tué à vingt ans. Souvent, ce sont les mêmes gestes, le même rire, les mêmes yeux. Quelque chose, toujours, demeure. Il m'arrive alors de croire presque - presque - qu'il est resté en moi quelque chose de celui que j'étais il y a vingt ans, que je n'ai pas entièrement disparu. Je me redresse alors un peu, je saisis mon fleuret, je vais à pas énergiques dans le jardin, je regarde le ciel et je croise le fer. Parfois, aussi, je monte sur ma colline et je jongle avec trois, quatre balles, pour leur montrer que je n'ai pas encore perdu la main et qu'ils doivent encore compter avec moi... Je m'étends au soleil sur le sable de Big Sur et je sens dans tout mon corps la jeunesse et le courage de tous ceux qui viendront après moi et les attends avec confiance, en regardant les phoques et les baleines qui passent par centaines, en cette saison, avec leurs jets d'eau, et j'écoute l'Océan ; je ferme les yeux, je souris et je sais que nous sommes tous là, prêts à recommencer."

"La promesse de l'aube" : magnifique roman "initiatique" d'une grande profondeur humaine sur ce qui fonde un homme à travers son enfance et son cheminement "entre hasard et nécessité"...