mardi 9 mars 2010

Filature, identité et pacte social


Nicolas Baverez (Le Monde du 9 mars 2010 "La nouvelle question sociale" évoque, à propos de la crise en Islande, la "rupture du pacte social" "matérialisée par l'exil de la jeunesse vers le Danemark et la Norvège". La même situation est décrite par ailleurs en Irlande (renouveau de l'immigration). Dans certaines régions rurales françaises, notamment les Cévennes où je demeure, cette rupture est ancienne en constamment alimentée : même si les cours d'écoles sont davantage fréquentées depuis quelques années, les jeunes atteignant l'âge des études d'abord, du travail en suite, quittent en majorité la région géographique au sens "étroit". En fait ils ne vont pas forcément très loin mais la capacité d'emploi local, ou d'entrepreunariat local, est trop faible pour absorber les nouvelles générations. Quoi que : un taux de chômage moyen à 25 % chez les moins de 25 ans en France n'annonce rien de positif pour trouver de meilleures perspectives ailleurs.
Mais que deviennent ensuite ces régions dont les jeunes générations sont "exfiltrées" au fur et à mesure ? De fait elles sont remplacées par des "immigrés" (nationaux ou européens le plus souvent) : d'autres jeunes (venus des villes à la recherche d'un territoire d'expérience pour gagner leur autonomie sans entrer dans le mode marchand classique), de retraités à la recherche de leurs racines ou d'un cadre de vie attrayant pour un certain temps, ou de micro-entrepreneurs dans le domaine du tourisme, de l'immobilier ou du travail "à domicile" via les nouvelles facilités d'Internet. Ce n'est pas un cas exceptionnel : le sud de Bali est dans une situation voisine, à l'autre bout du monde. Bien entendu ce mouvement n'a aucune commune mesure avec la "dés-occupation" du territoire qui a affecté les montagnes depuis la fin du XIX siècle, il n'est "correctif" que par rapport aux années 1960, 1970...
Dans certaines communes (dont la mienne) 80 % des "votants" n'habitaient pas la commune vingt ans auparavant. Un nouveau "pacte social" s'est donc institué, de fait, dont personne ne sait aujourd'hui exprimer les contours. Mais il existe.
Peut-être les collectivités locales devraient-elles tendre à le faire s'exprimer davantage en lui donnant les moyens d'une "lisibilité".
Je m'explique : en dehors des zones où l'affichage touristique tend à être dominant (le long des axes principaux de communication) et à occulter tout autre expression, il existe une "Cévennes profonde", où perdure l'image d'une identité culturelle basée sur l'histoire (protestantisme, soie, châtaignier, architectures rurales et industrielles etc.). Cette identité est valorisée, à juste titre, par les acteurs culturels. Mais elle tend constamment à tirer vers le passé une région qui ne parvient pas à mettre en avant ses composantes contemporaines. Si l'on prend la Haute-Savoie, il est manifeste que l'identité "traditionnelle" continue à exister à côté, ou avec, celle des activités sportives, culturelles et économiques contemporaines. Est-ce le "fond" qui manque en Cévennes pour qu'une identité contemporaine s'y exprime ? A côté des alpages savoyards, il y a les stations de ski. A côté des vestiges des filatures, moulinages, bonneteries etc. qui ont fait l'identité industrielle des Cévennes au XIXe siècle, que pouvons-nous proposer qui exprime un "être socio, économique et culturel" dont le nom serait : Cévennes ?
Comment s'identifier à une région et endosser les responsabilités qui devraient être prises quant à son devenir s'il est impossible d'en avoir une représentation contemporaine sur laquelle appuyer une quelconque dynamique ? Autant fonder sur du vide.

1 commentaire:

Micheline a dit…

Merci de m'avoir fait connaître ton blog, tes rélfexions, tes coups de coeur.
MW