jeudi 4 novembre 2010

Fin de partie


Le premières gelées ont achevé les dernières fleurs du jardin. Poireaux et carottes tiennent encore bons. C'est la première année où je jardine "pour de bon" : plutôt qu'un aimable divertissement c'est un vrai effort continu, parfois aride et jamais assuré du succès. Je vois beaucoup de "jardiniers" (amateurs) autour de moi pourtant. Le jardin c'est une discipline physique et intellectuelle en même temps. Curieusement le besoin d'effort est inséparable de l'état de satisfaction morale (ce qu'on appelle "le bonheur" ?). Jean Fourastié, économiste "à l'ancienne", qui ne se censure pas lorsque ses analyses statistiques l'amènent à un tout autre terrain (politique, philosophique, sociologique, moral...) écrit dans "Les trente glorieuses" en 1979 :

« On commence à se rendre compte aujourd'hui que le bonheur, sentiment très lié à l'ardeur de vivre, est un sentiment global qui ne se constitue pas par apport d'éléments distincts, mais, à l'inverse, est donné sans calcul à ceux qui le ne recherchent pas. A l'inverse de ce que l'étude analytique de Saint-Just a pu faire penser, le bonheur n'est donné qu'à ceux qui acceptent les privations, les contraintes, la souffrance, le sacrifice ; à ceux qui possèdent l'abnégation, l'aménité, la courtoisie ; à ceux qui cultivent la charité ; à ceux qui se gênent et se dévouent à ceux qui respectent et admirent, à ceux qui croient toujours recevoir plus qu'ils ne donnent : à ceux qui ont du courage et de la vertu »...
"Car il est devenu observable qu'en faisant du bonheur un objectif subordonné à l'échéance d'un certain nombre de facteurs concrets, voire quantitatifs, on en a fait un objectif social, hors de portée de chaque personne considérée individuellement, indéfiniment reculé par l'échéance de nouveaux manques, de nouvelles injustices, de nouvelles inégalités, de nouvelles insécurités, et par l'indéfinie survenance d'incidents, d'accidents, de maladies, de désaccords, d'incompréhensions, de divorces... Et l'on a peu à peu négligé puis oublié les conditions réelles du bonheur : l'effort individuel, une conception cohérente, réaliste et chaleureuse du monde, de la vie et de la condition humaine.  »
... Idée ô combien "réactionnaire" aux yeux de la "pensée unique" contemporaine comme sans doute l'ensemble de ses analyses économiques pourtant très stimulantes intellectuellement. Pour une fois qu'un économiste avait vu juste avant l'heure ! En effet c'est en 1979 qu'il écrivait : "Depuis 1968 ou 1970 j'attendais la fin des « trente glorieuses » ... « à la vérité je l'attendais plutôt de la désorganisation et de l'engorgement du crédit et du système monétaire international »... « mais lorsque la décision de hausse des prix du pétrole fut prise, et que rien ne vint rompre le monopole, je n'eus aucun doute sur la fin irrémédiable des temps faciles"... « La rareté (relative) à l'échelle mondiale des matières premières, et notamment de l'énergie mécanique, et les fols abus du crédit et des jeux financiers, sont ainsi aujourd'hui les deux premiers facteurs de la fin de temps faciles et du retour aux temps normaux. »
« Le troisième des facteurs importants... est le démarrage économique d'un nombre non négligeable de pays du tiers monde. »
Et, pour conclure : "La voie du progrès rapide est maintenant fermée. Celle d'un progrès lent est ouverte mais malaisée. Elle implique une intense activité créatrice, un fourmillement d'initiatives originales et d'efforts individuels, dont seule l'entreprise privée est capable. Plus d'efforts, plus d'intelligence, pour un moindre résultat."

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